- Article issu du blog EthiqueEhpad (date de publication : 18 février 2013)
Décider d’hospitaliser d’urgence une personne âgée, qui plus est si elle présente des fragilités psychiques, qu’elle est désorientée ou atteinte d’une maladie neuro-dégénérative, n’est pas anodin. Bien gérer la situation peut éviter un drame.
L’hospitalisation d’urgence est toujours un moment angoissant pour quiconque : situation de santé inquiétante, visages et lieux inconnus. Le grand âge aggrave le sentiment de détresse, et fait qu’au retour la personne est souvent perturbée, alors même qu’elle a été soignée. Cela peut paraître paradoxal mais c’est un fait que constatent régulièrement les professionnels.
A l’extrême, l’hospitalisation peut mener à des drames. Ainsi, il y a un peu moins d’un mois, une dame très âgée (plus de 90 ans), échappe à la vigilance du service dans lequel elle est hospitalisée, sort de l’hôpital, ne retrouve plus son chemin et meurt de froid.
Bien sûr une enquête est diligentée par l’administration. Mais, parmi les réactions des autorités dont la presse s’est faite l’écho, je ne lis aucune des trois réflexions que m’inspire ce triste évènement – ce qui ne m’étonne pas tant, au quotidien, le décalage entre l’exécution de nos métiers et la perception qu’en ont nos autorités administratives est patent :
– Tout d’abord, la surveillance des allées et venues n’est pas le métier de l’hôpital qui est là pour soigner, alors qu’il fait partie de celui des EHPAD dont les personnels ont pour mission d’accompagner des personnes fragilisées par l’âge. Cet évènement nous incite un peu plus à la vigilance. De nombreux dispositifs existent qui permettent d’assurer la sécurité et la traçabilité des déplacements des personnes sans altérer leur liberté : enregistrement à l’accueil des allées et venues, portes commandées, médaillons ou bracelets de géo-localisation, etc. On me dira soit que c’est une violation de la vie privée – il est possible néanmoins de la limiter au maximum – soit que cette liberté présente trop de risques : tel est le difficile équilibre entre sécurité de la personne et liberté d’aller et venir, entre respect des désirs individuels et responsabilité de l’établissement. Je suis prêt à entendre toutes les idées. Selon moi, l’essentiel est néanmoins que le résident soit informé et ait consenti à cette contrainte.
– Ensuite, l’hôpital était-il au courant de la désorientation de cette malheureuse personne ? On ne peut ici qu’insister sur la nécessité de préparer les hospitalisations et d’anticiper leur survenue : dossier à jour prêt en cas d’urgence, protocoles prévoyant les affaires immédiatement nécessaires à la personne et qui contribueront à la rassurer, penser à récupérer au contraire les objets qui pourraient être perdus au cours du séjour – notamment les bijoux qui sont généralement enlevés mais pas toujours retrouvés si une intervention doit avoir lieu d’urgence. Il faut aussi penser à avertir la famille et prévoir un dispositif pour éviter que la personne ne se retrouve seule durant les périodes critiques de son séjour, etc. Toutes ces précautions préparées faciliteront le travail de l’hôpital comme le séjour et le retour de la personne.
– Enfin, la tendance au recours automatique à l’hospitalisation par des établissements doit être combattue – dans le cas évoqué, je ne sais pas si cette personne venait de son domicile ou d’un établissement – comme la durée des séjours doit être raccourcie. Malheureusement, la plupart des EHPAD ne disposent pas des moyens pour assurer une continuité des soins infirmiers pourtant nécessaires au maintien ou au retour rapide au regard des niveaux de dépendances et surtout des pathologies des résidents. Des ARS ont lancé il y a quelques années des expérimentations louables qui auraient permis de répondre à ces difficultés par le recours à des vacations infirmières de nuit. L’établissement que je dirigeais alors s’était porté volontaire : mais je n’en ai jamais eu de nouvelles alors qu’il y a à l’évidence à y trouver tout à la fois un meilleur confort pour les résidents d’EHPAD comme des économies sur le budget de la sécurité sociale (tout en évitant une perte financière pour l’établissement lui-même, la journée d’hospitalisation étant déduite)… et une contribution au désengorgement des urgences hospitalières.
Alors ? Je ne dis pas qu’il ne faille pas hospitaliser. Lorsque la nécessité survient en situation d’urgence, c’est évidemment la bonne solution. Mais encore faut-il que cette éventualité ait été préparée, que chaque professionnel accomplisse les gestes indispensables pour que tout se passe au mieux :
– d’une part préparer l’hospitalisation par l’élaboration de protocoles et des documents qui accompagneront la personne ainsi que par l’acquisition des bons réflexes ;
– d’autre part la décider par l’analyse de la situation au regard des moyens dont l’établissement dispose ;
– et sans omettre, à plus long terme, de se donner et de réclamer ces moyens d’éviter les hospitalisations qui ne sont pas absolument nécessaires.
Vincent GILLY
Cadre dirigeant dans le secteur médicosocial
Ancien directeur d’EHPAD, consultant et formateur